samedi 22 juin 2013

Le choix de Jean Valjean

« Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie: – rester dans le paradis, et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer, et y devenir ange!

Que faire, grand Dieu! que faire? »

Tome I - Livre 7 - Chapitre III

samedi 8 juin 2013

Christus nos liberavit « Le Christ nous a libérés »

Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.

À qui ? À la misère.

À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.

La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore. On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.

Il pèse sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme.

lundi 3 juin 2013

L'écriture et ses péripéties - Partie 3

Victor Hugo fut considérablement critiqué sur son livre, et l'opinion de Gustave Flaubert considéré comme un de ses amis, est un des exemples.

Lettre de Gustave Flaubert à Madame Roger des Genettes
Envoyée de Croisset en juillet 1862

À vous, je peux tout dire. Eh bien ! notre dieu baisse. Les Misérables m’exaspèrent et il n’est pas permis d’en dire du mal : on a l’air d’un mouchard. La position de l’auteur est inexpugnable, inattaquable. Moi qui ai passé ma vie à l’adorer, je suis présentement indigné ! Il faut bien que j’éclate, cependant.
Je ne trouve dans ce livre ni vérité ni grandeur. Quant au style, il me semble intentionnellement incorrect et bas. C’est une façon de flatter le populaire. Hugo a des attentions et des prévenances pour tout le monde ; saint-Simoniens, Philippistes et jusqu’aux aubergistes, tous sont platement adulés. Et des types tout d’une pièce, comme dans les tragédies ! Où y a-t-il des prostituées comme Fantine, des forçats comme Valjean, et des hommes politiques comme les stupides cocos de l’A, B, C ? Pas une fois on ne les voit souffrir dans le fond de leur âme. Ce sont des mannequins, des bonshommes en sucre, à commencer par monseigneur Bienvenu. Par rage socialiste, Hugo a calomnié l’Église comme il a calomnié la misère. Où est l’évêque qui demande la bénédiction d’un conventionnel ? Où est la fabrique où l’on met à la porte une fille pour avoir eu un enfant ? Et les digressions ! Y en a-t-il ! Y en a-t-il ! le passage des engrais a dû ravir Pelletan. 

Ce livre est fait pour la crapule catholico-socialiste, pour toute la vermine philosophico-évangélique. Quel joli caractère que celui de M. Enjolras qui n’a donné que deux baisers dans sa vie, pauvre garçon ! Quant à leurs discours, ils parlent très bien, mais tous de même. Le rabâchage du père Gillenormant, le délire final de Valjean, l’humour de Cholomiès et de Gantaise, tout cela est dans le même moule. Toujours des pointes, des farces, le parti pris de la gaieté et jamais rien de comique. Des explications énormes données sur des choses en dehors du sujet et rien sur les choses qui sont indispensables au sujet. Mais en revanche des sermons, pour dire que le suffrage universel est une bien jolie chose, qu’il faut de l’instruction aux masses ; cela est répété à satiété. 

Décidément ce livre, malgré de beaux morceaux, et ils sont rares, est enfantin. L’observation est une qualité secondaire en littérature, mais il n’est pas permis de peindre si faussement la société quand on est le contemporain de Balzac et de Dickens. C’était un bien beau sujet pourtant, mais quel calme il aurait fallu et quelle envergure scientifique ! Il est vrai que le père Hugo méprise la science et il le prouve.

L'écriture et ses péripéties - Partie 2

Il faut trois mois, d'avril à juin 1862, pour publier les dix volumes des Misérables. Ce sont les éditeurs bruxellois Lacroix et Verboeckhoven qui ont remporté le contrat, contre la remise de 300.000 francs au poète, une somme énorme. Jusqu'au dernier moment, Hugo multiplie les relectures et retouches, avec l'aide de Juliette Drouet à la plume.

   
Affiche lors de la publication du livre


 La campagne de lancement est menée de main
 de maître. D'aucuns la  comparent à celle qui
 accompagne aujourd'hui la sortie d'un épisode
 d'Harry Potter !





Le jour de la sortie, les librairies sont prises d'assaut, la première partie est aussitôt épuisée, les traductions s'enchaînent : le succès est immense. Hugo a pris soin de demander la création d'une édition illustrée de petit format, au prix abordable, pour toucher un large public rendu impatient par les centaines d'affiches annonçant la publication.

Le peuple est séduit. On dit que dans les ateliers, les ouvriers se cotisent pour acheter les ouvrages et se les passer de main en main.

Mais les lettrés font la grimace. Peut-être parce que l'attente était énorme, la désillusion se révèle cruelle. Les critiques consternées se multiplient : contre le style tout d'abord, «intentionnellement incorrect et bas» (Gustave Flaubert) censé plagier le parler populaire. Puis contre le fond, qui dérange : ne risque-t-il pas de donner de faux espoirs au peuple, de lui faire miroiter cette «passion de l'impossible […] : l'extinction de toutes les misères» (Alphonse de Lamartine) ? Baudelaire confesse dans une lettre à sa mère : «Ce livre est immonde et inepte» (11 août 1862).

Les républicains lui reprochent de donner en exemple un prêtre (Monseigneur Bienvenu), les catholiques d'accuser Dieu d'être à l'origine de la misère. Voici Hugo vilipendé pour avoir engendré «le livre le plus dangereux de ce temps» (Jules Barbey d'Aurevilly). Mais n'était-ce pas son but ?

L'écriture et ses péripéties - Partie 1

Roman phare de Victor Hugo, Les Misérables sont le fruit d'une longue gestation. Dès 1828, le jeune écrivain, tout royaliste qu’il soit, envisage un grand roman sur le thème de la misère. Commence la période de la documentation avec collecte de coupures de presse, visite des lieux (bagnes, usines ou champ de bataille de Waterloo, où il met le point final à son roman), et recueil de témoignages.
Les Misérables en 5 Tomes 
Les anciens prisonniers sont mis à contribution, mais aussi les proches telle Juliette Drouet, élevée dans un couvent comme Fantine, la mère de Cosette.

Hugo s'appuie aussi sur ses souvenirs, réutilisant entre autres le défilé de forçats auquel il a assisté lors de sa visite des établissements de Toulon. Certains faits divers deviennent source d'inspiration, à l'exemple de la bonté montrée par monseigneur Miollis, évêque de Digne, à l'égard du galérien Pierre Maurin, condamné aux galères pour vol de pain. L’évêque sera rebaptisé Monseigneur Bienvenu Myriel dans le roman.

De la même façon, on rapporte que l'écrivain aurait assisté à une altercation entre un aristocrate et une prostituée, épisode utilisé dans Les Misérables pour mener Fantine à la déchéance.

L'écriture elle-même commence le 7 novembre 1845, pour un premier jet se déroulant jusqu'en 1848. Le succès des Mystères de Paris, publié en 1843 par Eugène Sue, l'encourage dans cette voie. Mais la politique interrompt l'œuvre de création d'Hugo qui assiste indigné à l'abdication de Louis-Philippe et plus tard au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte (qu'il a d'abord soutenu).

Avant d'être obligé de fuir, il court de barricade en barricade, expérience qui deviendra un des temps forts de son roman où il met en scène le petit Gavroche, tout droit sorti de La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix, peinte en 1830. L'exil lui offre le calme pour reprendre la plume, de 1860 à 1862.

Entre-temps, le projet a évolué, ses idées sociales étant devenues plus claires. Il ne s'agit plus des Misères, abstraction de l'état de pauvreté d'une partie de la population, mais des Misérables, incarnation du peuple souffrant à travers quelques personnages-types.

dimanche 2 juin 2013

Victor Hugo - 1802-1885

Impossible de parler du livre sans évoquer l'auteur.

Victor enfant


Naissance de Victor, le siècle avait deux ans !... et ce XIX siècle est plein de surprises.
Victor Hugo naît à Besançon le 26 février 1802, sous le Consulat... Les héros de l'épopée révolutionnaire et impériale ne savent pas encore qu'ils ont gagné le plus grand mémorialiste qui soit.
Son père, Léopold Hugo, est un général et un comte de l'Empire napoléonien. Sa mère, SophieTrébuchet, originaire de Châteaubriant, en Bretagne, donne très tôt à Victor le goût des auteurs classiques. Vers 17 ans, celui-ci aurait écrit sur un brouillon d'écolier : «Je veux être Chateaubriand ou rien». Il sera bien plus.

Il évoque sa naissance dans ce poème:

Le poète évoque sa naissance en cultivant le paradoxe :
Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l'empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois.

Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre,
C'est moi.
(Les feuilles d'automne, 1831)

samedi 1 juin 2013

Un roman épique

Les Misérables est une œuvre en cinq tomes:

Tome I – Fantine

Tome II – Cosette

Tome III – Marius

Tome IV - L’idylle rue Plumet et l’épopée rue Saint-Denis

Tome V - Jean Valjean

Une description de Fantine

« Quant à Fantine, c’était la joie. Ses dents splendides avaient évidemment reçu de Dieu une fonction, le rire. Elle portait à sa main plus volontiers que sur sa tête son petit chapeau de paille cousue, aux longues brides blanches. Ses épais cheveux blonds, enclins à flotter et facilement dénoués et qu’il fallait rattacher sans cesse, semblaient faits pour la fuite de Galatée sous les saules. Ses lèvres roses babillaient avec enchantement. Les coins de sa bouche voluptueusement relevés, comme aux mascarons antiques d’Érigone, avaient l’air d’encourager les audaces ; mais ses longs cils pleins d’ombre s’abaissaient discrètement sur ce brouhaha du bas du visage comme pour mettre le holà. Toute sa toilette avait on ne sait quoi de chantant et de flambant. Elle avait une robe de barège mauve, de petits souliers-cothurnes mordorés dont les rubans traçaient des X sur son fin bas blanc à jour, et cette espèce de spencer en mousseline, invention marseillaise, dont le nom, canezou, corruption du mot quinze août prononcé à la Canebière, signifie beau temps, chaleur et midi. Les trois autres, moins timides, nous l’avons dit, étaient décolletées tout net, ce qui, l’été, sous des chapeaux couverts de fleurs, a beaucoup de grâce et d’agacerie ; mais, à côté de ces ajustements hardis, le canezou de la blonde Fantine, avec ses transparences, ses indiscrétions et ses réticences, cachant et montrant à la fois, semblait une trouvaille provocante de la décence, et la fameuse cour d’amour, présidée par la vicomtesse de Cette aux yeux vert de mer, eût peut-être donné le prix de la coquetterie à ce canezou qui concourait pour la chasteté. Le plus naïf est quelquefois le plus savant. Cela arrive.

Éclatante de face, délicate de profil, les yeux d’un bleu profond, les paupières grasses, les pieds cambrés et petits, les poignets et les chevilles admirablement emboîtés, la peau blanche laissant voir çà et là les arborescences azurées des veines, la joue puérile et franche, le cou robuste des Junons éginétiques, la nuque forte et souple, les épaules modelées comme par Coustou, ayant au centre une voluptueuse fossette visible à travers la mousseline ; une gaîté glacée de rêverie ; sculpturale et exquise ; telle était Fantine ; et l’on devinait sous ces chiffons une statue, et dans cette statue une âme.
Fantine était belle, sans trop le savoir. Les rares songeurs, prêtres mystérieux du beau, qui confrontent silencieusement toute chose à la perfection, eussent entrevu en cette petite ouvrière, à travers la transparence de la grâce parisienne, l’antique euphonie sacrée. Cette fille de l’ombre avait de la race. Elle était belle sous les deux espèces, qui sont le style et le rythme. Le style est la forme de l’idéal ; le rythme en est le mouvement. »